En 1816, BASIL HALL, un marin britannique revenant de Chine après avoir fait un crochet par NAHA, rentrait ensuite par l'île de Ste Hélène, là où se trouvait en exil Napoléon 1er. Ce marin fit part de sa visite à OKINAWA. Quand l'empereur apprit que tous les insulaires étaient privés d'armes, et que malgré tout, ils entretenaient une guérilla contre les Japonais depuis 1609, stupéfait, il aurait dit alors « Avec quoi font-ils donc la guerre ??? »...
Les TIGUA sont les noms que l’on donne aux armes du KOBUDO d’OKINAWA… certains pensent qu’il y en a 7, d’autres pensent encore qu’il y en a 12 et d’autres enfin 28… Vous trouverez également des écoles qui en démontrent 4, 9, 121, 34… En fait les TIGUA sont innombrables et pour comprendre ce phénomène et l’intérêt de cette diversité dans les arts de combat que nous pratiquons, rien de tel qu’un petit billet…
1 - L’histoire des KOBUDO
Dans l’archipel des RYU-KYU, plusieurs édits qui ont émané soit de la tutelle japonaise des SATSUMA, soit directement du gouvernement de SHURI (la « capitale » d’OKINAWA) ont interdit aux autochtones la possession d’armes… (On parle parfois d’un couteau par village, gardé par 2 soldats du gouvernement, et relié à une stèle de pierre au centre du village !!!) …mais c’était sans compter sur l’état de nécessité : Se défendre n’est pas un droit, c’est d'abord l'émanation d'un instinct de conservation naturelle qui trouve toujours son chemin. Ainsi les habitants d’OKINAWA détournent les objets usuels pour en faire des armes d’appoint. Conjointement aux techniques de mains nues (ATE WAZA) se sont développées des techniques de maniement d’armes (EMONO WAZA).
Le caractère subversif des KOBUDO a longtemps confiné au secret ces techniques, ce qui, ajouté à la géographie parcellaire des îles, explique qu'il n'existe pas un KOBUDO mais des KOBUDO : plusieurs façons de manier chaque arme, par île, par expert... les pêcheurs n’avaient pas le même quotidien que les bergers, les agriculteurs ou les commerçants… Ce qui explique aussi le nombre et la variété de ces armes…
Puis, l’occupation Japonaise des Iles RYU-KYU cessant avec l'ère MEIJI, enfin avec leur "annexion" à l'Empire Japonais, le voile du secret concernant l'OKINAWA-TE et les TIGUA s’est progressivement levé. Si dans un premier temps, comme pour tous les autres arts martiaux, tout ce qui ressemblait à une activité martiale avait été bannie dans l’ensemble des Îles, quand à OKINAWA eut lieu la première démonstration publique d’OKINAWA-TE organisée et préparée par ITOSU en 1906, cela laisse déjà deviner la future réapparition des TIGUA, indissociable tant dans leur histoire que dans leur technique du KARATE. Les TIGUA seront progressivement réécrits en KOBUDO. Alors les derniers experts d’OKINAWA s’organiseront en Fédération, reprendront en main ces enseignements, structurant (sur un modèle similaire au KARATE), les KIHON, KATA, et KUMITE.
Ci dessous : Des reliques du passé (Okinawa Karaté & Kobudo Museum)
On peut y voir des armes, totalement artisanales : morceaux de bois récupérés, non manufacturés, on peut également y apercevoir des armes oubliées dans les KOBUDO modernes (des TONFA avec 2 poignets... des bâtons proches du KALI indonésiens... une ogive en bois avec un trou en son centre..., une lance..., une faux...)
Ci dessous : Des reliques du passé (Okinawa Karaté & Kobudo Museum)
On peut y voir des armes, totalement artisanales : morceaux de bois récupérés, non manufacturés, on peut également y apercevoir des armes oubliées dans les KOBUDO modernes (des TONFA avec 2 poignets... des bâtons proches du KALI indonésiens... une ogive en bois avec un trou en son centre..., une lance..., une faux...)
2 - La pédagogie s’en mêle…
En pédagogie, il est parfois utile à un moment de l’apprentissage de séquencer un peu les choses (quand c’est possible) afin de le rendre plus accessible… Aussi la majorité des écoles de KOBUDO reconnaissent des armes majeures et des armes mineures. Les armes majeures sont a minima pratiquées dans tous les RYU de KOBUDO… le BO, le TONFA, le SAI et le NUNCHAKU. Ces armes sont majeures pour 2 raisons : pédagogiquement, elles portent en elle des éléments fondamentaux et différents ce qui augmente le panel de la pratique, par ailleurs, il semblerait que compte tenu du nombre de KATA qui nous sont parvenus dans ces 4 armes, elles aient été relativement répandues dans tout l’archipel des RYU-KYU ce qui n’est pas nécessairement le cas des autres armes du KOBUDO. Il est alors évident que pour enseigner les armes à plusieurs élèves, il est plus pratique que tous disposent de la même arme en même temps... Ainsi, on doit choisir : les plus importantes d'abord, les armes secondaires ensuite, les plus rares n'étant réservées qu'aux assistants et parfois personne... Certains TIGUA sombrent alors dans l'oubli.
Ci-dessous : Un DOJO ancien de KOBUDO
On peut voir les armes classiques, pour autant pas un exemplaire n'est le même qu'à côté...
2.1 - Les armes majeures
- BO : c’est le baton, l’arme majeure, universelle, naturelle que l’on trouve dans toutes les contrées, de différentes longueurs (matraque, bâton de marche, perche, balancier…) – Bâtons de toutes longueurs dont l’enseignement diffère selon les écoles et les lieux d’origine (des îles proches de OKINAWA comme du Japon lui-même) tels: TAN KON ou TANBO d'à peu près 60 cm de longueur (aussi par paire, tels les NIJO TANBO) - JO, TSUE, SUTIKU, SANSHAKUBO, YONSHAKUBO tous de 91 à 120 cm de longueur - GOSHAKUJO de 121 à 152 cm de longueur - ROKUSHAKUBO, KON, KUN tous de 153 à 182 cm de longueur - NANASHAKUBO de 183 à 213 cm de longueur - HASHAKU-BO de 214 à 243 cm de longueur - KYUSHAKUBO de 244 à 274 cm de longueur - GUSANJO de 1m20 et de section ovoïde - GEKIGUAN de 1m20 de long avec une chaîne lestée - DAIJO, deux petits bâtons de 15 cm reliés par une longue corde. C’est une arme à 2 mains et lourde… Pédagogiquement, elle permet le renfort des bras et aide largement à se mouvoir dans l’espace compte tenu de sa taille…
- NUNCHAKU / NUNCHIKU / NUCHIKU / NUNCHAKU KUN / SOSETSUKON : On ne peut plus popularisé par Bruce LEE et la NINJA MANIA des années 80, c’est le fléau court en bois à deux branches d’égale longueur ou non. En fait, pour le NUNCHAKU comme pour le BO, on parlera plus vraisemblablement de « famille d’armes » plus que d’une arme… En effet, le NUNCHAKU désigne les fléaux d’armes… dont les variantes peuvent venir de la longueur des branches (longues jusqu'à 80 cm… courtes jusqu'à 10 cm… de longueur inégale…) du nombre de branches (2 le classique, 3 et 4 assez répandu, 5, 8, 10, 20… pour s’approcher de chaines…), de la forme des branches (cylindriques, ovoïdes, carrées, à section octogonale ou triangulaire), et fait des objets de la vie de tous les jours : comme l’origine la plus probable du NUNCHAKU : le mors de cheval. Pédagogiquement, c’est une arme qui introduit une jonction souple : la corde ou la chaine… Autrement dit, l’arme peut avoir un côté imprévisible lorsqu’elle rebondit sur la cible. C’est l’introduction de toutes les armes souples : corde, chaine, etc…
- TONFA / TUNFA / TUIFA / TUNKUWA / TAOFUA / TUIHA / TUNFUA / TONFUA / TOIFUA / TONKA : Ancienne poignée d'à peu près 40 cm pour faire tourner les meules à riz, par paire ou non, utilisée comme prolongement du bras pour bloquer ou parer de la manière la plus dure qui soit comme pour frapper avec une efficacité quasi totale. Pédagogiquement, c’est une arme double, mais surtout, c’est la prolongation et le renforçateur naturel des avant-bras du KARATE-KA. C’est l’une des armes les plus accessibles et qui permet d’aborder progressivement les FURI UCHI (ces mouvements en KOBUDO où l’arme se déplie dans le mouvement de frappe).
- SAI : C’est la dague OKINAWAIENNE sous forme de trident en métal ou en BAMBOU dont l’enseignement peut différer beaucoup selon les écoles et les lieux d’origine (à voir aussi avec le JITTE Japonais). C’est une arme lourde car le plus souvent en métal, son origine OKINAWAIENNE est discutée en vertu de son caractère métallique (OKINAWA a été longtemps privé d’armes en métal) pour autant de nombreuses traces attestent d’un maniement spécifique étudié pour lutter contre les armes en métal justement (sabre, lance, fauchard…). Pédagogiquement, c’est une arme double, symétrique qui aide largement au renfort du haut du corps. C’est une arme difficile car les pointes demandent de la précision pour toucher et ne pas être blesser. On acquiert également la capacité d’emprisonner l’arme adverse (l’équivalent d’une saisie ou du KAKETE en KARATE ce que peu d’armes permettent), cela en fait une arme difficile et bien qu’arme majeure, elle reste souvent la dernière abordée des 4.
2.2 - Pour les armes mineures, citons pour mémoire
- KAMA : Faucille pour couper le riz, utilisée par paire ou non au combat (reliée au poignet avec un lacet ou une lanière), en BU-JUTSU on la retrouve dans les KUSARI GAMA utilisés avec une chaîne.
- MANJI SAI : Croc en forme de SAI (il peut être lancé) avec une des gardes inversées, introduit à OKINAWA à l’époque des échanges commerciaux avec la Chine, utilisé par paire ou non ou fixé au bout d’un BO.
- NUNTI / NUNTE BO : Le harpon : en fait un BO avec un MANJI SAI au bout.
- KAI / EKU / IEKU / UEKU / SUNAKAKEBO : La rame...
- KUE / KUWA / SUBURE / SUBURI : La houe...
- TIMBE / TIN BEI / TINBE / CHIMBE : Le bouclier en carapace de tortue... (souvent associé avec une autre arme).
- ZINKAWA : Pesant et encombrant chapeau de paille traditionnel utilisé au combat comme bouclier et comme arme.
- SEYRYUTO : Une espèce de machette, le plus souvent manipulée conjointement avec ZINKAWA ou TIMBE.
- ROCHIN : Une espèce de pieu (épieu ?) parfois avec une pointe en métal…, le plus souvent manipulée conjointement avec ZINKAWA ou TIMBE.
- SURUCHIN / TSURUCHIN : Cordellette lestée par des galets ou tout autre objet faisant l'affaire... Parfois une chaîne lestée d’un poids. Cette arme souvent portée autour de la taille comme ceinture, pouvez servir à de multiples activités en plus de la défense. Elle rejoint les KUSARI des BU-JUTSU japonais.
- TEKKO / TETSUBUKI : A peu près le poing américain en fer à cheval ou étrier de cheval, parfois en bois (chez les pécheurs) !
- TECCHU : Poings avec des pointes en fer ou en bois.
- HIMO : le garrot ou l’écharpe.
- SANSETSUKON / SANSHAKU KUN / SANBON NUNCHAKU : Arme introduite par la Chine, en fait trois TAMBO attachés par une chaîne (NUNCHAKU à trois branches) et d’une manipulation… délicate.
Les armes mineures sont rarement toutes abordées dans une école de KOBUDO, cela dépend de l’histoire du groupe, du DOJO et du professeur, cela dépend aussi de la curiosité des élèves. Il n’était pas rare qu’un Maitre se spécialise dans l’une de ces armes ! Leur maniement découle souvent du maniement des armes majeures ou d’une combinaison de ces derniers.
2.3 - Et quelques reliques extrêmement rares
- YONSETSUKON / YONSHAKU KUN / YONBON NUNCHAKU : Arme introduite par la Chine, en fait quatre TAMBO attachés par une chaîne et d’une manipulation... impossible.
- BISENTO : Curieusement une hallebarde? (utilisée plutôt par les gardes du palais de SHURI, s’approche de la NAGINATA du Nord du Japon)
- RENKUWAN / UCHIBO : Bâton long et bâton court reliés par une corde ou une chaîne (le fléau à grain de de chez nous ?).
- ROKUSHAKU KAMA : Comme une NAGINATA de plus de 2 mètres mais avec une KAMA au bout (mais est-ce vraiment une arme des KO BUDO ?). Il s’agit d’une faux !
- TICCHU : Espèce d'anneau de métal ou de bois, plus ou moins aplati.
- KANABO : Une massue cloutée!
Pour ces dernières peu de documents semblent disponibles aujourd’hui (et en l’occurrence, l'auteur de ce billet est preneur de toute information sur la question)
3 - Puis l’économie s’en mêle…
Les armes sont d’abord récupérées chez soi avec ce que l’on a… C’est l’esprit d’origine du KOBUDO, faire avec les objets du quotidien… Sans frais supplémentaires et avec des « objets » qu’on ne peut pas confisquer sous prétexte qu’elles sont une arme… Mais petit à petit avec l’essor de l’enseignement des arts martiaux, on « fabrique » des armes : les armes sont réalisées sur mesure pour chaque pratiquant. Le BO doit faire 5cm de plus que la taille de son porteur, les NUNCHAKU, SAI, TONFA, etc… doivent dépasser légèrement de la pointe du coude lorsqu’ils sont tenus sur l’avant-bras, etc… Sauf que… Sauf qu’il n’est pas nécessairement simple d’industrialiser cela et de produire en masse… Alors on standardise ce qui ne l’a jamais été : on ne produit en série que certaines armes et elles sont toutes de la même taille : Le BO fait 183cm… les TONFA, NUNCHAKU, SAI sont en taille unique, les armes trop rares ou trop complexes à fabriquer disparaissent, le KOBUDO se repend, se popularise, s’exporte mais perd de sa richesse… les armes « qui sortent de l’ordinaire » sont très difficiles à trouver et très coûteuses ce qui rend leur pratique en club dans des cours collectifs extrêmement difficiles : peu de clubs disposent des finances suffisantes pour s’équiper de 18 boucliers en carapaces de torture, les élèves eux n’ont pas forcément plus les moyens… Les KOBUDO dans toute leur diversité ne sont préservés que par quelques passionnés qui en plus des cours de base, pratiquent pour eux-mêmes les « armes oubliées »… Et en passionnés, ils recherchent les armes rares et essayent de se les procurer, tentent d’en déchiffrer les mystères, certains mêmes apprennent à les fabriquer eux-mêmes par le travail du bois ou de la forge !
Ci-dessous : Ratelier d'armes classiques dans un DOJO moderne (photo extraite du site des Ecoles Bushido de Bordeaux) : Beaucoup de TONFA, BO, NUNCHAKU, SAI... le reste n'est qu'anecdotique...
4 - L’objectif du KOBUDO
Comme je l’ai dit plus haut : décomposer afin de rentre plus intelligible les savoirs (analyse) est une nécessité mais il ne faut pas oublier de réintégrer tous ces éléments dans un tout cohérent (synthèse). Ainsi, l’objectif en KOBUDO n’est donc pas de maîtriser 4 puis 7 puis 12 puis 36 armes… mais de petit à petit être capable de voir en tout objet une arme potentielle et d’en déduire son maniement, sa dynamique, sa distance. A la manière des NAVY SEALS pour qui la devise est « ONE MIND, ANY WEAPONS » (un esprit, peu importe l’arme ! »). L’objectif est que si l’on sait combattre et que l’on dispose des bases du maniement, des notions de distance, alors on est capable d’utiliser tout son environnement, tous les objets alentours pour faire feu de tout bois… ou faire flèche de tout bois… c’est selon !
Quand je dis cela à mes élèves, certains me répondent « mais alors ne devrait-on pas regarder les objets de la vie de tous les jours d'aujourd’hui ?» et la réponse est « bien sûr que oui ». Certains maîtres de KOBUDO le faisaient (feu SHIMPO MATAYOSHI notamment et aujourd’hui plus récemment NICHO NISHIUCHI…). Bien sûr, la tradition OKIAWAIENNE nous impose de travailler les armes du KOBUDO d’OKINAWA mais rien n’empêche d’y intégrer à la faveur d’un stage ou d’une session de self défense des armes « improvisées » plus modernes… Du coup, on ne parlerait plus de KOBUDO d’OKINAWA mais de SHIN KOBUDO (KOBUDO moderne) et selon les mêmes approches que nos paysans OKINAWAIENS, nous n’aurions alors plus les mêmes objets mais bien, le même objectif : que n’importe quel objet de la vie courante puisse faire l’affaire…
Quelle vie courante ? La vôtre, bien sûr… Un rural n’aura pas le même quotidien qu’un citadin, un mécanicien pas les mêmes objets autour de lui qu’un informaticien, un vendeur au porte-à-porte pas le même mode de locomotion qu’un étudiant… Et c’est pour cela que les écoles de KOBUDO sont si différentes, les villages dans les terres n’avaient pas le même mode de vie que ceux dans les montagnes ou dans la jungle, les pêcheurs pas les mêmes outils que les agriculteurs ou les artisans… Chaque école de KOBUDO par le panel des armes qu’elle enseigne est le reflet d’un mode de vie locale !
La plupart des élèves de notre club sont des citadins parisiens qui voyagent en transports en commun ou en 2/4 roues motorisés… Voici quelques objets de la vie quotidienne que vous pourriez voir comme des « TIGUA d’un autre âge » :
- Casquette
- Echarpe
- Gants
- Casque de moto
- Antivol de Scooter ou de Vélo
- Attaché-case
- Sac à dos
- Sacoche/Besace
- Monkey-fist / Porte-clefs
- Lampe de poche
- Stylos
- Carte de crédit, porte-feuille
- Parapluie (long ou pliant)
- Téléphone portable,
- Ceinture
- Béquille
- Balai,
- Bouteille d’eau
- Magazine, journal
- Extincteur
- Câble (USB, électrique, chargeur)
- ...
Et si l’utilisation de toutes ces « armes » vous intéresse, alors il faudrait demander au D.T. du club de vous proposer un stage sur le module REALITY BASED « IMPROVISED WEAPONS »...
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